L’enseignement du piano au 19ème siècle
Les méthodes de piano témoignent de l’évolution de la pédagogie
Suite à l’article que j’ai écrit sur le choix des méthodes de piano, j’ai voulu approfondir un peu le sujet des ouvrages pour piano du XIX ème siècle.
C’est peut-être bien une façon de procrastiner, mais j’ai appris plein de choses et j’adore ça !
Et cela complète l’article que j’ai proposé sur l’évolution des pianos. Je ferai court : je ne suis pas en train de préparer une thèse ni un mémoire. Mais vous verrez qu’il y a matière à travailler dans ce sens. 🙂
Tout simplement, je voulais vous faire profiter des trouvailles que j’ai faites sur le site Gallica de la BNF. Si cela vous intéresse voire vous passionne, je vous laisse un lien en fin d’article pour y aller. C’est un trésor pour tous les francophones !
Tous les documents de cet article viennent du site Gallica de la Bibliothèque Nationale de France (BNF)
Petit tour d’horizon et voyage dans le temps
J’ai pris quelques heures à fouiner dans ces vieux ouvrages pédagogiques. Papiers jaunis, traces d’humidité, déchirures, vieux tampons de numéros d’archivage. Il vaut mieux les consulter en ligne pour éviter de les abîmer… et de soulever la poussière.
Ce que j’y ai découvert
Mettre le nez dans ces anciennes méthodes de piano a été pour moi, professeur de piano, tout à fait passionnant.
Comme toutes les techniques y sont extrêmement détaillées (ce sont des méthodes de piano et non de solfège par le piano ! ), j’ai vraiment eu l’impression d’être assise à coté du professeur et d’assister à la leçon et même d’assister à l’élaboration de ces ouvrages pédagogiques.
Il est très intéressant de lire les introductions de ces méthodes : chaque auteur semble y sceller une fois pour toutes les bases techniques pour jouer de cet instrument relativement nouveau, dans les conditions qu’il estime les meilleures.
- Des centaines de méthodes de piano font leur apparition au XIXème siècle ! Donc, il fallait se démarquer. Et je découvre que la prolifération des ouvrages n’est pas d’aujourd’hui !
- Un moyen de se faire connaître, un outil de promotion. D’abord, ces méthodes se ressemblent toutes de l’extérieur. Certaines couvertures sont plus chargées que d’autres selon que l’auteur est plus pou moins connu. Des recommandations de tel ou tel directeur de conservatoire pouvaient faire espérer de meilleures ventes… Les compositeurs se devaient de proposer leur méthode. C’était un peu leur vitrine, leur site internet ! Chopin lui-même, poussé par ses proches, a dû sacrifier à la tradition pour écrire sa propre méthode. Il n’en reste que des esquisses puisqu’il est mort avant de la terminer.
- Des femmes (oui!) ont aussi proposé des Méthodes. Hélène de Montgeroult et son Cours complet pour l’enseignement du piano-forte vers 1820 Mademoiselle Charpentier en 1875. Je pense également à celle de Marie Jaëll qui date de 1895. J’y reviendrai un court instant.
- Beaucoup de texte, beaucoup d’explications très précises. Les conseils prodigués sont érigés au rang de règles. Le terme y est souvent employé. « On ne met pas les pouces sur les touches noires, on termine un trait avec le petit doigt dans les aigus »… Des choses qui nous paraissent évidentes maintenant et notre pratique vient, en partie, de là.
- Il faut un professeur expérimenté pour faire débuter un enfant au piano. C’est encore une idée très répandue actuellement de penser que l’enfant peut commencer avec n’importe qui ou plutôt avec une personne non formée à l’enseignement du piano. Les professionnels disent eux-mêmes que c’est la partie la plus difficile du métier.
- L’autodidacte est pris en compte. « …On a essayé de classer les règles le plus méthodiquement que cela était possible afin que l’élève pût se guider lui-même. » » … de sorte que l’élève privé de professeur puisse progresser correctement… » On envisageait que les débutants puissent travailler seuls. Une conception moderne.
- Le corps du pianiste, de l’exécutant est évoqué mais le poids du bras est exclu. Normal, la méthode russe n’était pas encore arrivée en France. De plus, les instruments étaient fragiles.
- Chiroplaste (1814), Dactylion (1839) , Stéréochimie (1844), Veloce mano , l’Agilimain…ces noms vous disent quelque chose ? Ces fameuses inventions destinées à aider le pianiste à avoir une bonne position, LA bonne position pour jouer du piano ! Et lorsqu’on parle de pédagogie pianistique au XIX ème siècle, on ne peut passer ces instruments de torture sous silence ! Le compositeur Robert Schumann (1810-1856) se serait paralysé la main avec ce genre d’engin.
- Les règles sont présentées en même temps que les contre-exemples. « La plupart de ceux qui jouent du forte-piano frappent de toute leur force sur le clavier… » « au lieu des sons harmonieux et purs, on n’entend que le bruit fatigant des marteaux et du battement des touches. »
- Toutes ne s’adressent pas aux débutants. Par exemple le GRADUS AD PARNASSUM de Clementi commence avec des exercices d’un niveau assez difficile. Le tout premier me fait déjà bondir. Certes, c’est un peu technique, mais regardez-le et imaginez la façon dont la main est tendue en jouant cet accord de sixte avec le doigté 1,3,5 à la main droite ! Et tout cela en faisant des tenues ! Ce n’est pas une erreur puisqu’on lit : « L’auteur a choisi, dans cet ouvrage, le doigté le plus propre à accélérer les progrès des élèves. » Oui… ou plutôt à accélérer la survenue des tendinites ! Étonnant. 🙁
- Certaines méthodes s’adressent aux enfants débutants et abordent la théorie musicale, comme la méthode de « Mademoiselle » Charpentier (1875). Mais il n’est pas question de faire jouer l’enfant sans partition et par imitation , contrairement à ce que préconise Couperin en 1716. Elle introduit sa méthode ainsi : « L’étude du piano ne doit commencer pour un enfant que lorsqu’il sait lire et que les principes de la musique lui sont connus. » … »l’étude de la musique, proprement dite, précédera donc de six mois à un an celle de l’instrument. » Voilà c’est dit. On est loin des méthodes actives !
- J’ai l’impression que la méthode de piano de l’époque était l’ouvrage d’une vie. Elle part des premiers signes musicaux (la note, la portée…) pour aboutir aux trilles les plus improbables et terminer avec des études acrobatiques. On repoussait toujours plus les limites techniques. Un exemple parmi d’autres…
- La règle des doigtés prend une place considérable. Au XIXème siècle, on joue uniquement avec les doigts, la force des doigts et un peu de poignet dans les notes répétées. On évite le poids du bras qui, trop puissant, risque de détériorer les pianos. « L’élève qui respecte les règles des doigtés touche les morceaux les plus difficiles avec autant d’aisance, de grâce et de légèreté et avec aussi peu de peine que les pièces les plus faciles ».
- Les pédales n’étaient pas vraiment enseignées. Il a fallu du temps pour qu’elles soient acceptées comme un élément à part entière du piano.
- La technique étroitement liée à la facture de l’instrument et à sa fragilité. … »voici encore l’exemple où il faut mettre un accent particulier. D’ailleurs, il ne faut pas abuser de sa force et détériorer l’instrument ou le désaccorder. »
- Et des techniques se sont perdues. Le « trois pour deux » ne se faisait pas comme maintenant et les notes piquées étaient retardées…
- Malgré cette surenchère de technique, le côté artistique n’était cependant pas oublié. … »qu’il (l’élève) s’attache à trouver la manière d’attaquer les touches la plus propre à rendre l’expression du sentiment indiqué et dont il faut qu’il soit toujours pénétré.
Je reviens sur la méthode de Marie Jaëll.
Après avoir vu quelques méthodes de piano couvrant tout le XIX ème siècle (de 1804 à 1875), je comprends maintenant pourquoi Marie Jaëll (1846-1925) s’opposait au « mécanisme ambiant » et souhaitait que le son, la pensée musicale, le toucher soient remis à l’honneur.
Ce siècle, riche de belles œuvres romantiques écrites pour le piano, fut aussi marqué par l’avènement de toutes ces méthodes.
Celles-ci ne ressemblaient pas à celles que nous connaissons actuellement : elles n’étaient que suites d’exercices arides, de gammes, d’arpèges dans tous les tons et dans tous les sens, pour se terminer sur des études d’une difficulté inouïe et vides de musique et de chant.
Ce mécanisme omniprésent remplissait toutes les méthodes sur 150 à 250 pages.
Exercices, gammes, arpèges, tierces, octaves, accords, trilles, études, de quoi en faire une overdose ! On peut se demander à quel moment les apprentis-pianistes avaient le temps de travailler les pièces du répertoire. C’était la virtuosité pour la virtuosité. Pour jouer un maximum de notes en un minimum de temps.
Il est vrai que les pianos de l’époque étaient beaucoup moins lourds que les nôtres, demandant moins d’efforts musculaires. La mécanique était assez légère… Mais combien de tendinites, combien de blessés sur ce « chant » de bataille ?
Je suis impressionnée par cette escalade technique complètement inutile puisque ces acrobaties n’ont même pas été reprises dans les œuvres des compositeurs*. Les études de Chopin étaient bien…gentilles quand on les compare à ces monstres sans formes. Je pèse mes mots et pourtant je suis loin d’être contre le travail technique.
*On peut parier que si Chopin, Liszt, Schumann et ceux que nous jouons maintenant avaient écrit comme Steibelt, Tausig, Kalkbrenner, Cramer… (j’arrête la liste), ils auraient disparu comme eux ! Ils ne sont encore connus que par leurs centaines d’exercices et pourtant, tous ont composé des œuvres* !
Pianos anciens et musiques à redécouvrir
Toutefois, à l’instar des pianos anciens, on exhume leurs différents concertos même s’ils sont moins intéressants musicalement que ceux de Chopin. Mais c’est bien de changer nos habitudes. L’heure est donc au « retro-gaming », terme que j’emprunte aux joueurs de jeux vidéo ! :
*Quelques liens pour écouter différents concertos romantiques. Vous en trouverez beaucoup d’autres !
Concerto pour piano en Ut Majeur de F. Kuhlau Op 7 (1810)
Concerto pour piano N° 3 en si mineur de J.N. Hummel Op 89 (1819)
Concerto pour piano N° 1 en ré mineur de F. Kalkbrenner Op 61 (1823)
Concerto pour piano en fa mineur de S. Thalberg Op 5 (1830)
Concerto pour piano à 4 mains en Ut Majeur de C. Czerny Op 153 (1827?)
Concerto pour piano en sol mineur de I. Moschelès Op 58 (1820?)
Me voilà arrivée au bout de ce petit tour des méthodes de piano utilisées en Europe
Je sors un peu ébouriffée de ce tourbillonnant voyage dans le siècle du piano. Et cela n’avait rien de romantique ! J’espère, en tout cas, que vous aurez appris plein de choses en parcourant cet article et que vous aurez envie d’approfondir le sujet à votre tour !
Allez visiter le site Gallica de la BNF qui propose plus de 5 millions de documents !
Merci de m’avoir lue !
Dites-moi si vous avez aimé cet article ! Vos commentaires et réactions sont les bienvenus ! 🙂
8 thoughts on “L’enseignement du piano au 19ème siècle”
Article super intéressant sur l’évolution de l’enseignement du piano. L’interprétation des anciennes partitions est aussi une mine d’information ( le piano à 4 doigts!!). Cela permet de prendre du recul sur l’enseignement du piano aujourd’hui…
C’était tout à fait passionnant de « fouiller » dans les archives ! Merci pour le commentaire.
Passionnée de musique, j’ai appris le piano en conservatoire mais n’ai pas pu en faire ma profession.
J’ai toujours voulu partager mon amour de la musique aux enfants et je m’y intéresse aujourd’hui à 78 ans.
Je partage entièrement vos points de vue sur les modes d’apprentissage et les interprétations.
Merci de tous vos conseils justes et précieux.
Ah! le.a professeur.e de piano. être de lumière qui conduit l’élève a sa quintessence. Nous cherchons tous ce graal qui nous permettra de rivaliser avec les meilleurs concertistes. En fait, pour ma part, « la méthode » est un moyen de fuir la musique et son interprétation. Pas de risque, c’est austère et pas musical, c’est normal, c’est un exercice…
Bonjour,
A l’occasion de cet article un grand merci pour toutes les vidéos que vous publiez et que je regarde (et écoute !) avec attention, elles sont passionnantes et très bien faites.
Juste une question : certains liens sont barrés, comme par exemple « Esquisses pour une méthode de piano », cela veut-il dire que vous déconseillez l’achat de ces ouvrages ?
Merci encore pour votre travail,
Jean-Paul ROYNETTE
Bonjour Jean-Paul,
Les liens barrés sont un problème de plugin : une extension qui ne fait pas bien son travail. Même barrés, ces liens sont actifs. Je conseille ce livre tout à fait passionnant, mais un peu technique. Je conseille même les liens barrés par le plugin que je devrai changer. Merci pour votre commentaire ! : )
Bonsoir, la lecture de cet article fut agréable et instructive, merci.
Le moteur de recherche me l’a proposé alors que ma requête concernait le jeu dit à la francaise. J’ai compris qu’il se déploya durant le 19ème jusque dans les années 1940. L’idée étant de se rapprocher du « texte » c’est à dire viser la régularité rythmique (surtout à la main gauche), ne pas gonfler l’oeuvre, simplifier son expression au maximum. Demarche différente de celle des russes. (Arrivée plus tard en concomitance avec de nouveaux piano?) Je me demandais à quel point la facture instrumentale avaient influencé ces conceptions. Savoir si alors qu’une technique est désormais possible, elle est souhaitable ou non. L’article donne quelques pistes de réponses!
Merci d’avoir lu mon article ! Je pense effectivement, que la technique pianistique a évolué avec la « technologie » du piano. Et/ou on peut dire que les nouvelles possibilités de l’instrument ont inspiré les compositeurs. Une élément qui a du mal à faire parler de lui et à être pris en compte dans l’écriture, c’est la fameuse troisième pédale !