Challenge 40 pièces au piano
Faire jouer beaucoup plus de pièces par nos élèves durant l’année, voilà la belle idée !
Avec le challenge des 40 pièces au piano appelé aussi défi des 40 pièces, les élèves développeraient une meilleure compréhension musicale et de meilleures compétences pianistiques en multipliant les expériences dans leur apprentissage !
Le but est de jouer plus de musique, de faire que nos élèves ne s’enlisent pas sur des morceaux trop difficiles. Si difficiles pour eux qu’ils n’en jouent parfois que six par an. Nous pouvons reconnaître certains de nos élèves dans cette description.
Depuis quelques années, cette idée d’apprentissage « riche en répertoire » arrive tout doucettement aux oreilles des professeurs Européens.
D’où vient ce challenge des 40 pièces ?
C’est Elissa MILNE, professeure de piano australienne, qui en est l’initiatrice. Jamais elle ne se serait douté que cela se mondialise à ce point et si rapidement ! La magie d’internet est passée par là !
Et d’où vient ce nombre ? Simplement 40 semaines de cours par an en Australie, une pièce par semaine donc 40 pièces jouées par élève et par année de cours de piano. Et davantage selon la capacité de chacun.
C’est en 2001, en préparant des ateliers sur la technique pianistique pour les débutants qu’Elissa MILNE tombe sur un article disant en gros
«Comment diable peut-on espérer que les élèves acquièrent une grande variété de compétences, sans parler de la compréhension de la pensée musicale et du style pianistique, s’ils n’apprennent jamais que six pièces par an?
Souvenir de lecture d’Elissa Milne, traduit de l’anglais.
Nos étudiants devraient apprendre plusieurs fois ce nombre, une quarantaine au moins chaque année, s’ils veulent avoir le moindre espoir de maîtriser réellement l’instrument ».
Ce petit texte décrivait un contexte qu’Elissa connaissait bien. Les élèves qui jouaient 6 morceaux par an, c’étaient ses élèves ! Ou plutôt, ils ressemblaient à SES élèves. Et le plus fort, c’est que ce texte datait… de la moitié du XIXème siècle !
En 1850, les études de piano se limitaient donc à jouer déjà aussi peu de morceaux avec pour objectif de les jouer parfaitement ? Une fois « parfaits », on arrêtait de les jouer après les récitals ? Vite oubliés, vite éclipsés par le nouveau morceau qui arrivait sur le pupitre et que l’élève allait travailler encore environ deux mois pour ensuite l’oublier…
Un déclic pour Elissa MILNE qui décida, dès lors, de parler de ces dizaines de pièces que pourraient jouer les apprentis-pianistes durant l’année. Après plusieurs mois d’expérimentation avec ses propres élèves, elle avait bien vu qu’ils pouvaient retirer de nombreux bénéfices de cette pratique.
Les deux années qui suivirent furent jalonnées de conférences, de présentations, de recherche de répertoires… et de la publication de trois premiers volumes de pièces choisies, édités dans ce sens par Hal Leonard Australia dès 2003.
Quels furent les critères pour rassembler ces pièces ? Il fallait qu’elles soient courtes, simples, de styles très différents (baroque, jazz, latino, classique, romantique, rock, amusants…) progressives et avec un intérêt pédagogique. L’élèves devait y apprendre quelque chose de nouveau (technique, théorie…).
Que s’est-il passé en adoptant le challenge des 40 pièces ?
- D’abord, adopter le « 4O pieces challenge » c’est faire jouer des pièces plus faciles de deux ou trois degrés inférieurs. Mais pas que. Les élèves jouent aussi quelques pièces qui correspondent à leur niveau.
- Les élèves avaient automatiquement amélioré leur lecture à vue avec ces pièces de niveau technique plus bas que celles qui se travaillaient sur deux mois. Elles pouvaient être présentables plus rapidement, au bout d’une semaine et certaines, au bout de deux semaines.
- Commencer un nouveau morceau ne les bloquait plus, car ils le faisaient souvent. Ce n’était plus un Everest qu’ils abordaient mais une petite colline sur laquelle ils allaient se promener.
- Ils prenaient des initiatives pour trouver des pièces qu’ils aimaient, pouvant sans doute mieux en évaluer les difficultés.
- Ils amélioraient leur style, la musicalité des pièces, un point sur lequel ils pouvaient davantage se concentrer et ils ne s’ennuyaient plus. Ils gardaient la motivation puisqu’ils atteignaient les objectifs en peu de temps.
- Le professeur pouvait même leur imposer une pièce qui leur serait profitable mais pas forcément à leur goût. Ce n’était plus vraiment un problème, puisqu’elle ne serait jouée qu’une semaine.
- Certains arrivaient à se débarrasser d’un perfectionnisme pétrifiant. Et cela ne concerne certainement pas que les élèves. Le perfectionnisme est une bonne chose quand il ne devient pas un handicap empêchant d’avancer.
- Les élèves étaient enfin heureux en restant davantage au piano ! Et finalement c’est bien le but !
Ce challenge des 40 pièces nous arrive dans quel contexte ?
- Actuellement, nos élèves passent de moins en moins de temps au piano. Ils ont pourtant souvent envie de jouer lorsqu’ils commencent à prendre des cours : ils sont moins poussés à faire des activités qu’ils n’aiment pas. C’était parfois le cas dans les générations passées.
- Il arrive souvent que nos élèves aient leur piano seulement une semaine sur deux. Deux maisons et seulement un piano. Ils ne vont pas le porter sur le dos ! Ah s’ils étaient flûtistes ce ne serait pas le même problème… mais ils ne seraient pas nos élèves ! 😉
- Ils suivent beaucoup d’activités extra-scolaires. Très bien pour l’épanouissement, la découverte, le bien-être, la santé. Mais n’est-ce pas parfois un peu trop ? Un vrai « agenda de ministre » !
- La musique n’est pas une activité comme les autres : il ne suffit pas de prendre un cours par semaine comme on irait au macramé. Contrairement au tennis ou à la danse qui demandent des entraînements ou des répétitions dans les niveaux plus avancés, la musique l’exige presque dès les débuts.
- S’entraînant moins, les élèves mettent de plus en plus de temps à « monter » un morceau, ils s’ennuient et se démotivent. Apprendre un instrument de musique prend du temps et cela, on l’oublie. Le temps, la persévérance, la concentration… old school ?
- Pétris de publicités qui vantent la pratique du piano sans lecture de notes, certains voudraient éviter le solfège même dans les conservatoires. Et pourtant, suivre les cours de formation musicale c’est une façon de comprendre ce que l’on joue. C’est savoir comment s’écrit la musique pour qu’elle ait du sens, pour mieux la mémoriser, connaître un peu son contexte, pouvoir en inventer, en arranger et pourquoi pas en composer ?
Un peu déprimant d’énumérer ces points 🙁 mais je vais me ressaisir ! 🙂
Professeurs de piano quel est notre rôle ?
Que nous soyons professeurs indépendants, en écoles de musique ou en conservatoires, nous savons que nous ne formons pas des futurs pianistes professionnels. Je vous déçois ? Mais vous le savez ! Seuls 1 à 2 % des élèves des CRR français (Conservatoire à Rayonnement Régional) seront des professionnels.
Dans cette optique, nous avons parfois à nous délester d’un certain perfectionnisme. Nous devons aussi savoir abandonner une pièce quand un élève ne s’en sort plus. Personnellement, quand cela arrive, rarement heureusement, je ne suis pas fière : j’ai l’impression d’avoir mal évalué la difficulté. Ne pas culpabiliser. Plusieurs facteurs entrent en jeu.
Et donc, que feront ceux qui ne seront pas professionnels (les 98 %) ? Adultes, continueront-ils à jouer pour leur plaisir, de retour chez eux après une journée de travail ou pendant leurs vacances, par exemple ? Les études faites dans le monde, en Australie ou en Europe nous disent qu’ils arrêtent de jouer une fois qu’ils ont cessé de prendre des cours car ils n’ont pas appris à se débrouiller seuls avec leur piano et/ou leur partition. Un sacré gâchis !
Pour rendre nos élèves autonomes, nous avons à leur enseigner un minimum de théorie musicale, d’harmonie, à les inciter à improviser, à transposer, à renforcer leur lecture à vue, le fameux déchiffrage.
Jouer des pièces simples au piano presque du premier coup !
Il y a plein de choses à dire sur cette compétence indispensable à développer chez nos élèves. Dans les CRR mentionnés plus haut, on ne remplace plus les professeurs de déchiffrage qui partent à la retraite ! C’est une erreur.
La lecture à vue est complexe sur les instruments à clavier ou la harpe. Deux portées à lire à la fois, des déplacements dans tous les sens… Ne parlons pas de l’orgue avec son pédalier en plus ! Rien à voir avec les instruments monodiques (qui ne jouent qu’un son à la fois). Atteindre un bon niveau de déchiffrage au piano demande plus d’entraînement et devrait se commencer tôt.
Personnellement, j’ai souvent pensé que l’idéal était de donner seulement des cours de déchiffrage au piano. Et cela m’est arrivé de le faire avec certains élèves. Car, finalement, s’ils ne travaillent plus chez eux, la seule chose qui peut les faire progresser est de lire des pièces simples (c’est-à-dire les jouer du premier coup (ou du troisième !) sans avoir vu la partition auparavant). C’est très gratifiant pour l’élève.
Je leur ai souvent dit, en plaisantant, que je leur apprenais à ne pas travailler ! Bizarre pour un prof ! 🙂
Ils ne s’ennuient plus devant autant de nouveautés et avec l’expérience, ils se mettent à lire les partitions comme on lit un roman : sans avoir à les travailler. C’est LA compétence la plus utile à développer pour de futurs amateurs. Savoir jouer à vue en fait d’ailleurs rêver plus d’un !
Le déchiffrage, l’art de la première interprétation, comme le dit si bien Sylvaine BILLIER qui a été professeure de déchiffrage au CNSMD de Paris, devient cependant vite un problème pour les claviéristes.
Pour beaucoup, un fossé va se creuser, de plus en plus immense, entre la découverte de la musique à travers le répertoire et la progression technique.
Le déchiffrage ou l’art de la première interprétation, Sylvaine BILLIER Ed. LEDUC 1992
Après au moins un trimestre de jeu par imitation où le tout débutant explore les possibilités du piano (sons graves, sons aigus, nuances, déplacements, phrasés, pédales…), arrivent les partitions, mais elle se compliquent trop vite. J’ai déjà eu l’occasion de parler de ces méthodes de piano qui se disent simples et qui par exemple font aborder l’indépendance ou la synchronisation des mains dès leur deuxième page…
Passer du rêve à l’objectif
Déchiffrer beaucoup de pièces plus simples pour progresser en lecture à vue et en musicalité, trop beau pour être vrai ? Non, tout à fait possible. C’est d’ailleurs la meilleure solution pour progresser. Tous les professeurs de déchiffrage le diraient. Et c’est justement le but du challenge des 40 pièces.
Je suis persuadée que cette pratique peut faire progresser les élèves et les motiver. On a le droit d’être sceptique en se disant qu’ils ne sauront plus approfondir, ne travailleront plus la technique, en resteront au stade du déchiffrage… mais il faut tester ce principe en bon septique !
Challenge des 40 pièces, comment s’y prendre ?
En France, notre saison de cours ne dure que 30 ou 35 semaines et non pas 40 comme en Australie ou les US. Alors ce sera 30 ou 35 pièces que l’élève aura à présenter. Si vos élèves jouent pour l’instant entre 6 et 10 pièces, il sera peut-être difficile de passer tout de suite à 30. Un challenge 20 peut être suffisant pour commencer. Et certains en feront beaucoup plus s’il ont une pratique plus intensive à la maison.
L’idée est que l’élève termine une pièce par semaine en lui donnant des pièces de niveaux différents.
- Des pièces simples pour déchiffrer
- Pièces du niveau moyen à jouer au bout d’un entraînement tous les deux jours
- Une pièce du niveau de l’élève
Le nombre de pièces dépend du temps de pratique. Il faudrait au moins trois pièces de niveaux différents. Mais rien n’est figé. Je pense que ce challenge ou ce défi, on peut l’adapter comme on veut. Le tout est que nos élèves jouent beaucoup plus de morceaux.
La question du répertoire est centrale. Que faire jouer ?
Adopter ce challenge demande plus de travail au professeur. La recherche de répertoire, le renouvellement de nos partitions prend beaucoup de temps. De plus, il nous reste plus qu’à chercher sur internet car les boutiques de partitions ferment les unes après les autres, même dans les plus grandes villes.
Et comment trouve-t-on les partitions ? C’est en les feuilletant (en faisant travailler notre écoute intérieure) et en les écoutant.
Malheureusement beaucoup de sites d’éditions ne sont pas très bien faits pour cela. Il faudrait des extraits de partition de chaque pièce et un extrait audio…
Que choisir pour le « 40 pieces challenge » ?
Certains enseignants veulent des pièces de 16 mesures minimum. Je pense que pour les jeunes enfants, 8 mesures sont suffisantes, voire 4.
Pour commencer, le mieux est que les élèves jouent sans méthode, sans partition. C’est par l’imitation qu’ils apprendront des mélodies qui passent d’une main à l’autre sans problème de synchronisation des deux mains… Et sans les pouces ! 🙂
Je vous propose une petite liste très ouverte de pièces, de mix, de compositeurs.
- Mélodies populaires accompagnées par vous-même.
- Vos pièces que vous aurez écrites !
- My piano trip to London 1 et 2 (Elena Cobb)
- Accompagnements I V I avec vous en partie PRIMO
- Duos simples, Diabelli, Martin, Mini-jazz, Mini Rock de Schmitz, Duos de D. Hellbach…
- Des pièces pour 2 pianos
- De la musique d’ensemble
- Petits Czerny pour ne pas oublier les gammes, arpèges, accords.
- Pour mes petits amis, Etudes musicales Coulpied Sevestre
- Pièces solo de D.Hellbach (Acanthus Ed.) (j’adore !)
- Pièces trouvées sur internet mais bien arrangées.
- 72 pièces brèves (Transatlantique) pièces progressives
- 40 Pièces pour une seule main de Barbara Arens
- 21 pièces faciles B. Arens (Breitkopf)
- Menuets de Bach…
- Petites pièces de Mozart
- Lajos Papp (j’adore !)
- Bartok Pour les enfants…
- Kurtag
- 3 petites pièces faciles pour 4 mains Stravinsky
- Collection Pianissimo chez Schott
- Gillock W. 24 Lyric Preludes in Romantic Style
- Impressions romantiques M. MIER
- Le Répertoire du Pianiste (Ed. Lemoine), Pianissimo gym…
- Allerme J.M Collection Pianotes
Pourraient être compris dans ce challenge…
- Des transpositions de pièces simples dans d’autres tonalités
- Des harmonisations simples de mélodies (par ex, savoir retrouver les fonctions Tonique/ Dominante)
- Des improvisations ou compositions courtes
- De la musique d’ensemble
- Du Deux pianos
- Des 4 mains, 6 mains…
- Des gammes, des arpèges…
Cette liste que j’ai constituée de mémoire pourrait être infiniment plus longue. J’espère que j’aurai déjà contribué à vous faire découvrir quelques nouveautés ! 🙂 A vous de compléter !
Posséder des partitions
Celui qui souhaite donner la chance à son enfant d’être un bon lecteur doit lui procurer des livres. Bien avant qu’il apprenne à lire, l’enfant s’imprègne des histoires que lui auront lues ses parents ou ses frères et sœurs pendant presque 5 ans ! Il lira plus facilement avec plaisir et avec le ton qu’il faut, à haute voix, signe d’une bonne compréhension du texte.
Il en est de même pour la musique. Avant de savoir jouer de la musique, il est important que l’enfant en ait beaucoup écoutée. Que ce soit des chansons enfantines, de l’instrumental et des styles différents dont du classique.
Une fois qu’il commence la musique et après avoir dépassé le stade du jeu par imitation il est important que l’élève ait des partitions personnelles.
Elissa MILNE recommande aux professeurs de parler d’un « budget partitions » aux parents. De quoi acheter chaque année 3 ou 4 anthologies ou mix. C’est dans ces partitions personnelles que les pièces du Challenge seront prises.
Je sais que parfois des parents hésitent à acheter des partitions. Qu’ils soient rassurés : elles seront utilisées au maximum ! Et elles pourront toujours être revendues d’occasion si l’enfant décidait de tout arrêter !
Davantage de pièces : moins d’ennui pour l’élève mais aussi pour l’enseignant !
Le « 40 pieces challenge » renouvelle notre façon d’enseigner le piano. A l’heure actuelle où nos élèves multiplient leurs activités extra-scolaires, leur temps de pratique musicale diminue.
En renouvelant très souvent le répertoire, ils apprendront à mieux lire, à diversifier les styles, à progresser musicalement et à prendre des initiatives. Bien sûr, l’approfondissement de certaines pièces reste d’actualité et la technique n’est pas à négliger.
En lisant cet article, vous devez vous demander si j’ai déjà expérimenté le défi des 40 morceaux. Et bien pas encore mais c’est décidé, je m’y mets ! Le « 40 pieces challenge » fera partie de mon programme de l’année prochaine ! Je vais chercher du répertoire et partagerai certainement là-dessus ! 🙂
Avec ce genre d’enseignement riche en répertoire, nos élèves pianistes auront une chance de ne plus être aspirés dans ce trou noir qu’est l’arrêt de la pratique musicale amateure qui touche plus particulièrement les pianistes !
5 thoughts on “Challenge 40 pièces au piano”
En ces temps troublés, je joue du piano seule. Je m’étais fixé comme objectif de jouer « parfaitement » les morceaux que je jouais autrefois (20 ans sans jouer). Les 40 morceaux par an m’ouvrent des horizons !
Merci pour les idées de répertoire qui m’ont notamment permis de découvrir les recueils des Ed. Acanthus. Les pièces sont relativement courtes, et dans un style qui, à mon avis, peut tout à fait plaire aux élèves, notamment les ados (ça change des arrangements de chansons et autres qui ne sont pas toujours très heureux).
Objectif atteint pour moi ! Daniel Hellbach n’est pas bien connu en France. C’est bien pour cela que je le présente ! Et je suis d’accord avec toi : ces pièces sont beaucoup mieux composées que des arrangements de chansons. Elles plaisent aux ados et les pédagogues les apprécieront ! C’est un beau cadeau qu’il fait aux enseignants !
Lumineux ! J’aimerais faire un saut en arrière dans le temps pour, en tant qu’ élève, apprendre le piano de cette manière.
Merci Thierry ! Ce challenge incite tout le monde à jouer davantage, après la phase du tout début où l’on joue sans partitions. On peut s’en inspirer à tous les âges !