« La musique au piano, histoires d’écoutes et de touchers » 1/3
« La musique au piano », de Cécile Müller
C’est un livre fort intéressant, écrit par Cécile Müller, que je souhaite vous résumer ici. Cet ouvrage couvre très largement le domaine
du piano, de son enseignement et donc de son apprentissage.
Très complet, il pourra vous être très utile si vous souhaitez donner des cours de piano. Et si vous n’avez pas d’expérience dans l’enseignement, vous y apprendrez beaucoup.
Mais il est destiné aussi à tous ceux qui s’intéressent à ce bel instrument de musique : mélomanes, amateurs, parents. J’ai tellement adhéré au propos que je me suis dit que son résumé (sous forme de trois articles) pourrait bien avoir sa place dans ce blog.
Au fil de ces articles, je me suis permise de rajouter mon petit grain de sel (écrit en italique) et des photos le plus souvent personnelles.
Si le sujet vous intéresse (je devrais dire LES sujets, tant les chapitres sont variés), je vous conseille vivement de vous procurer ce livre. : )
L’auteure, Cécile Müller, est pianiste et enseigne le piano au Conservatoire à Rayonnement Régional de Limoges.
Je propose le résumé de ce livre en trois volets. En voici le premier.
Déjà le titre interpelle : « La musique au piano » et non pas la musique pour piano. C’est mettre en avant la musique et non le piano. C’est placer le piano comme instrument de musique…faire de la musique grâce au piano !
Alors là, je me suis dis qu’on allait entendre parler de qualité du son, de respirations, de références à d’autres instruments, de la voix… je n’ai pas été déçue !
La 4ème de couverture nous fait la promesse d‘un livre pouvant intéresser tous les amateurs de piano, mélomanes, étudiants, parents et professeurs :
« Avec la collaboration de Renée Geoffrion (facteur et interprète) et de Claude Vatère (ostéopathe et posturologue). Préface d’Alfred Herzog
« C’est un parcours pédagogique en trois dimensions… »
Historique, artistique et physique qui peut intéresser tout enseignant-pianiste ou tout amateur ou mélomane, ou encore tout étudiant à la recherche de conseils lors de son apprentissage ; en tout cas pour tous, ce livre constitue un ensemble d’éclairages sur ce bel art du « toucher » et du « ressentir » qu’est l’art du piano; il apporte également des conseils de « mieux être » et de « mieux vivre » dans la pratique d’un art instrumental.
On y découvrira une histoire du piano (de son évolution et de son répertoire), une étude structurée et fouillée de son apprentissage (les objectifs, étape par étape, l’analyse de l’importance du geste dans le façonnement du son au piano et du rôle de mémoires multiples dans l’interprétation et la réalisation pianistique), des éclairages d’un scientifique sur le plan postural (aspect qui retentit, lui aussi, sur le jeu et l’état du musicien et auquel notre société est de plus en plus sensible pour le bien-être de tous) ainsi que ceux de grands maîtres du clavier. »
Première partie historique : Les ancêtres du piano
Dans la première partie du livre, c’est l’origine du piano qui y est exposée. Partant du monocorde que Pythagore utilisa pour fixer l’échelle des sons, l’histoire vit passer le clavicorde qui allait bénéficier de plusieurs améliorations successives pour devenir l’instrument à clavier le plus populaire.
Cette genèse du piano, très agréable à lire, est très vivante avec les anecdotes qui la ponctuent. Ainsi, l’auteure nous relate de quelle façon ces innovations ont été accueillies par les compositeurs eux-mêmes. Par exemple, Jean-Sébastien BACH aurait écrit spécialement ses « Petits préludes et fugues » pour le clavicorde.
MOZART découvre le piano-forte de facteur de pianos STEIN à 21 ans en 1777 et renonce définitivement au clavecin tant son enthousiasme est grand !
Une autre anecdote : BEETHOVEN (1770-1827) jouait avec une telle fougue, que les cordes de son piano « Braodwood » cassaient et s’emmêlaient comme un buisson d’épines! Il ne cachait pas son désarroi !
De grandes innovations d’un piano à l’autre
Considéré comme l’inventeur du piano, CRISTOFORI (1655-1731) y est bien sûr mentionné : son invention est une révolution musicale. Ce facteur de clavecin peu satisfait du son de ses instruments inventa le Gravicimbalo col piano e forte vers 1709, en français « clavecin avec des nuances douces et fortes ». Il s’appela vite piano-forte.
C’est une révolution puisque les cordes du clavecin étaient mises en vibration par des sautereaux équipés de plectres. La corde était « grattée » comme avec le plectre d’une guitare ou d’une mandoline. On ne connaît plus l’auteur de cette géniale invention, dommage pour lui !
Cristofori, lui, décida que les cordes ne seraient plus grattées mais frappées avec un petit marteau.
Vers 1720 la pédale una corda apparut. C’est une sourdine : le marteau était déplacé de côté avec tout le mécanisme par l’intermédiaire d’une genouillère placée sous le clavier et actionnée par le genou. Ainsi, le marteau n’allait frapper plus qu’une seule corde au lieu de deux. Les pédales, telles que nous les connaissons aujourd’hui, arrivent en 1789 ! Une autre révolution ! ; )
Revenons un peu en arrière pour remarquer que parallèlement à ces innovations techniques, l’écriture musicale évolue et la gamme tempérée fait peu à peu son apparition pour les instruments à accords fixes comme les instruments à clavier. Avant cette invention de 1691 d’Andreas WERKMEISTER (, il fallait accorder son instrument chaque fois que l’on devait changer de tonalité.
C’est depuis cette époque que les touches noires du piano (appelées feintes) ont chacune deux noms différents : le fa dièse peut s’appeler sol bémol, le si bémol peut s’appeler la dièse, etc. selon le contexte.
Pour célébrer cette invention, J.S BACH (1685-1750) écrivit le célèbre Clavier bien tempéré (Livre 1 en 1722 et livre 2 en 1740), deux recueils de 24 Préludes et Fugues écrits dans les 24 tonalités possibles (12 tonalités en mode majeur et 12 en mode mineur). Le Clavier bien tempéré fut imprimé plus de 40 ans après sa mort en 1799 !
Il fallait bien une telle oeuvre pour cette innovation technique si importante !
La musique évolue ainsi que son écriture
Bach et Rameau (1683-1764) qui vécurent à la même période, ne composaient pas du tout le même style de musique. L’auteure nous le dit : la musique française était polyphoniquement moins fouillée que la musique allemande mais elle était plus riche harmoniquement. Rameau se servait des modulations pour traduire des états et disait que la mélodie naissait de l’harmonie.
Quelques nouvelles modifications sur le piano
- Le clavier s’étend à 6 octaves vers 1820
- Le système du double échappement naît en 1823 avec ERARD. Les répétitions de notes sont facilitées ainsi que les trilles dans la nuance piano, c’est-à-dire douce
- Les marteaux, jusqu’alors recouverts d’une épaisse peau de chamois, se voient dorénavant recouverts à partir de 1826 d’une couche de feutre. Le piano sonnera plus moelleux
- On fabrique des pianos à pédalier vers 1850
- Invention du piano à queue modèle réduit, baptisé « crapaud » par Ch.GOUNOD
- des inventions techniques peu visibles pour le public telles que des pièces en métal coulé pour consolider l’instrument ou les cordes croisées (vers 1860) qui permettent de réduire la longueur des pianos.
- 3ème pédale dite tonale, présente au milieu des 3 pédales sur les pianos à queue et quelques belles marques de pianos droits. Elle fait office de 4ème main, la pédale de droite étant la 3ème main !
Au 19ème siècle, l’industrie du piano s’organise
Les pianos PLEYEL sont exportés partout dans le monde. La maison BROADWOOD, manufacture londonienne de pianos fondée en 1771 devient la plus réputée du Royaume-Uni et la plus importante au monde en 1810 (année de naissance de Chopin). Elle exporte ses pianos partout dans le monde et jusqu’en Australie et Amérique du Sud.
Et qui a largement contribué à la popularité du piano ?
C’est CHOPIN (1810-1849). Ce compositeur d’origine franco-polonaise est arrivé en France à l’âge de 20 ans. Il a presque exclusivement écrit pour le piano : des valses, mazurkas, polonaises, ballades, impromptus, scherzos, préludes, une barcarolle, une berceuse… deux concertos pour piano et orchestre, une sonate pour violoncelle et piano, quelques pièces de circonstances et des chants polonais accompagnés au piano mais peu connus en France.
C’est avec de nombreuses pièces courtes et techniquement accessibles que Chopin devient le compositeur le plus joué dans les salons du 19ème siècle et pourtant la totalité de son oeuvre ne dépasse pas 20 heures d’écoute !
L’auteure cite également Carl-Maria von Weber (1786-1826), Schubert (1797-1828), Schumann (1810-1856) et Liszt (1810-1886) qui ont su sublimer le son du piano dans des styles différents.
Je fais un « petit » saut, en passant au 20ème siècle et ses compositeurs partis exploiter de nouveaux horizons harmoniques et rythmiques : Bartok, qui s’imprègne des chansons paysannes pour sortir des modes majeurs et mineurs… Schoenberg, Webern et Berg…des noms que beaucoup ne connaissent pas et pour cause : ils ne sont pas souvent entendus car difficiles à jouer voire difficiles à écouter ! Peu de chance qu’ils deviennent populaires ! « Les non-initiés reçoivent cela plutôt sous la forme d’une certaine laideur » nous dit l’auteure !
Trop nouveau, le public y perd ses repères. on n’y est encore pas habitués et pourtant ils sont nés respectivement en 1874, 1883 et 1885 !
Je ne vais pas me faire que des amis en disant cela mais c’est assez objectif ! ; )
L’auteure résume bien la situation : »L’espace sonore va prendre d’autres formes et d’autres aspects encore à apprivoiser de nos jours ! »
D’autres compositeurs à mentionner tout de même : DEBUSSY, FAURE, BOULEZ, MESSIAEN, DUTILLEUX, OHANA, BERIO, LIGETI…. Je les cite pour susciter la curiosité et donner envie d’aller écouter quelques pièces.
On n’utilisait pas le pouce sur les instruments à clavier
L’auteure nous rappelle les changements dans l’art de « toucher le clavier » : avant Rameau et Couperin (1668-1733), on n’utilisait pas le pouce sur les instruments à clavier. Petit à petit l’usage de ce doigt différemment implanté dans la main, à l’opposé des quatre autres, est préconisé pour devenir plus tard un doigt important dans le jeu cantabile (chanté) et legato (lié).
On n’imagine pas, en effet, jouer Chopin, Schumann ou Liszt sans les pouces ! Ni pour Bach dans ses fugues d’ailleurs !
Grâce à la pédale forte, Thalberg (1817-1871), connu pour le doigté qu’il aurait inventé (14321 sur les notes do ré do si do par exemple), est l’un des premiers à avoir créé l’effet troisième main. Les romantiques le suivront.
Côté posture, le pianiste se mettra à distance du clavier, se penchera vers celui-ci et un art du geste en découlera.
La technique pianistique se développe
On a parfois l’impression que le pianiste a une multitude de mains en transformant le piano en véritable orchestre. Les déplacements sont de plus en plus grands et la main trouve des astuces pour gérer ces difficultés. La technique peut se résumer ainsi : le mouvement juste, nécessaire à la bonne réalisation du texte et à l’optimisation du son. Donc économie de mouvements et d’énergie, juste ce qu’il faut !
De nos jours, le piano nous offre beaucoup de possibilités. L’auteure, Cécile Müller, nous rappelle qu’il est possible de jouer de nombreux styles et qu‘il est souhaitable que l’apprenti-pianiste connaisse toute la richesse de cet instrument afin de mieux reconnaître ses « affinités profondes ». Déchiffrage, classique, jazz, improvisation, ensembles, musiques traditionnelles… aborder tout cela contribue à un épanouissement musical et développe la créativité des commençants.
Pour terminer ce chapitre, l’auteure nous livre son credo
« L’enseignement de qualité n’est pas réservé aux seuls doués ou surdoués. Chacun doit avoir accès au meilleur apprentissage qui lui permettra une pratique musicale satisfaisante qui le préservera des pathologies musculaires futures; toutes les aptitudes verront un réel épanouissement sans perte de temps.
L’auteure insiste sur l’ importance de la compétence reconnue de celui ou de celle qui se charge des premiers pas du petit musicien en herbe. »
En effet, faire débuter un enfant (ou un adulte) en le mettant sur les bons rails est l’une des choses les plus difficiles dans le métier de professeur de piano. Ainsi, il est préférable de confier son enfant à un professeur expérimenté pour les débuts. C’est un gage de réussite et c’est à ce moment que se construisent les bases de l’apprentissage du piano.
Petite histoire de claviers standardisés
Enfin, pour terminer cette première partie du livre…
Renée Geoffrion facteur et interprète, présente le point de contact entre le pianiste et son instrument…le clavier.
Sur un court chapitre, l’histoire de la standardisation des claviers y est déroulée, ainsi que de leur ergonomie à partir des premiers clavicordes du 15ème siècle.
En effet, les claviers ont énormément évolué : si vous avez déjà joué sur un orgue ancien ou un clavecin voire un piano « d’époque » , vous vous êtes certainement rendu compte que l’octave est moins large que sur un piano moderne.
Le clavier, moins profond avec des touches moins longues ne permettait pas de jouer avec le pouce. On a parfois l’impression de jouer sur un piano de poupée !
C’est vers 1830 que l’on remarque dans les écrits pédagogiques une plus grande attention portée à la force des doigts et l’usage du poids.
L’évolution du piano se poursuit jusqu’à la fin du 19ème siècle. La standardisation des claviers (largeur et longueur des touches) semble être établie vers les années 30, oui, 1930 !!!
Et je rajoute que le mouvement a l’air d’être reparti, avec les piano italiens FAZIOLI créés en 1980 ou les français PAULELLO, l’extraordinaire piano français à 102 touches dont les ateliers se trouvent dans l’Yonne, en France.
J’ai eu la chance un jour de le jouer lors d’une présentation dans ma région. J’ai adoré ! Il faut un peu de temps pour s’habituer au volume sonore moins puissant que les pianos « modernes » et le toucher ressemble plutôt à celui des pianos « d’avant-guerre » !
Ainsi se termine le résumé de la première partie de ce livre « La musique au piano » de C.Müller.
Les résumés des chapitres de ce livre très complet suivront sous forme d’articles.
Je vous ai partagé les photos de pianos que j’ai faites au MIM, Musée des Instruments de Musique de BRUXELLES.
Je tenais à le visiter avant de terminer cet article. J’espère que vous appréciez. Si vous aimez les pianos anciens et autres instruments de musique, allez-y, ce musée est splendide !
J’espère que ce premier article vous aura donné envie de vous procurer ce livre de Cécile Müller. Ce n’est pas un roman mais il est très bien écrit et il se trouve encore dans le commerce.
Merci d’avoir lu cet article. : )
Vous pouvez laisser un commentaire tout en bas, après le sommaire du livre.
Sommaire du livre :
I. Histoire d’un toucher fait instrument
A – Les origines
B – L’évolution
C – Les premiers pas d’un instrument
D – L’aube d’un avènement
E – La maturité
F – Le développement de la technique… un changement d’attitude
G – Le piano dans tous ses états
H – Le clavier, cet inconnu… (par Renée Geoffrion)
II. La partition, support et mémoire de la musique occidentale
A – Une premier jet, le déchiffrage
B – Le décryptage
C – Gros plan sur les indices de la partition
D – La notation contemporaine
III. La posture au clavier
A – Les axes principaux
B – Les points forts de la posture au piano
C – Les points souples, voies de transmission
D – Un petit résumé et l’éclairage de grands Maîtres
IV. La posture et le mouvement… Le point de vue scientifique…
(par Claude Vatère)
V. Les mouvements pianistiques
A – Les mouvements de base au clavier
B – Le geste pianistique
C – Les actions de base
D – Un travail générateur de sons
VI. Voyage au cœur de l’interprétation
A – Dans l’antre de l’atelier des sons
B – Conseils pour un travail efficace
C – Le trac, le piano, les autres et moi
VII. Les mémoires du musicien
A – L’écriture musicale, moteur et témoin d’un art vivant
B – Les mondes parallèles du musicien
C – Les mémoires du pianiste
VIII. Le professeur de piano
A – A quoi sert un professeur de piano ?
B – Toutes les facettes du professeur de piano
C – Les soucis du professeur de piano
D – Petit résumé pour un bon départ
E – Les objectifs par cycle
F – Les compétences
G – Questions et réponses d’un professeur de piano
H – Quels répertoires ?
I – Le musicien, cet improvisateur à révéler
(en hommage à François Rossé)
J – L’expérience d’une artiste, pédagogue et interprète
José Carlosema-Cabanès
2 thoughts on “« La musique au piano, histoires d’écoutes et de touchers » 1/3”
Merci pour ce superbe résumé absolument fidèle à ma pensée et au fruit de mes recherches et de mon expérience. Bravo et merci pour cet espace si précieux pour la musique, les sons, les oeuvres, les pédagogies, les conseils avisés… et partons confiants en immersion dans le merveilleux monde des sons et des compositeurs.
Merci Cécile, j’espère que ce résumé donnera envie d’aller plus loin : une fois lu, c’est un livre à avoir avec soi, histoire de se rappeler des points importants. Pour le professeur mais aussi pour l’amateur qui se pose tant de questions !